Cette page présente la démarche globale du projet. Du contexte à la matière première, de la recherche à la production, des matériaux à la fin de vie des objets dessinés par le studio.
Contexte
Chaque année, ce sont près de 40 000 tonnes d'algues vertes qui se déversent sur les plages bretonnes. Ces échouages massifs, principalement causés par l’élevage intensif, l’eutrophisation des eaux et le dérèglement climatique, ont des conséquences environnementales, économiques et sanitaires désastreuses. Les plans de luttes et les actions politiques s’enchaînent, mais le phénomène s'accélère inexorablement et s’observe désormais bien au-delà du littoral breton.
L’enjeu premier du projet Alga est d’élever ce déchet local au rang de production positive et de le percevoir comme un gisement abondant dans un contexte d’urgence écologique et de raréfaction des matières premières fossiles.
Initié en 2016, le projet a depuis bien évolué. En s’entourant de spécialistes et d’expert.e.s dans tous les domaines qu’il a eu a côtoyer, le designer Samuel Tomatis a réussi à transformer cette biomasse en différentes typologies de matériaux aux propriétés et esthétiques fascinantes.
En collaboration avec certains organismes et municipalités, le studio apporte désormais des voies de valorisation sur plusieurs territoires (Bretagne, Guadeloupe, Madagascar) et s’est inséré dans de multiples secteurs de la filière algue pour valoriser également les co-produits de cette industrie en pleine expansion.
Matière première
Premier être vivant unicellulaire ayant vu le jour sur Terre, les algues possèdent d’incroyables propriétés. Utilisées aujourd’hui dans trois domaines industriels, la cosmétique, la santé et l’alimentaire, notamment pour les polysaccharides, leurs applications dans le domaine des biomatériaux est encore marginal.
Les algues sont très diversifiées, ce qui témoigne de leur très longue histoire génétique. Elles ne constituent pas, au sein des végétaux, un ensemble homogène, mais se répartissent entre plusieurs lignées évolutives complètement indépendantes les unes des autres. Pour ce qui concerne les algues marines, on distingue trois grandes familles : les algues brunes, les algues rouges et les algues vertes.
S’il est difficile d’obtenir un nombre précis, les scientifiques dénombrent plus de 9 000 espèces de macro-algues, dont 1 500 que l’on peut retrouver dans les mers d’Europe. La Bretagne étant le premier champ d’algues européen et le dixième plus important champ d’algues au monde. Cette grande hétérogénéité explique la richesse et la diversité biochimique à l’origine de leur exploitation. Nous collaborons avec des centres de recherches du CNRS, des biologistes marins et des goémoniers pour identifier et appréhender au mieux la composition de cette matière première complexe avant de la transformer en matériau.
Recherche & développement
Le studio s’inscrit dans une démarche d’écologie radicale, à la frontière entre science et design. En collaboration avec des laboratoires de l’INRAE, nous travaillons sur des process industriels pour la fabrication des matériaux. D’innombrables étapes d’identification, de formulation et de caractérisation ont permis de développer et d’aboutir à des matériaux biodégradables, pour la plupart 100% en algue. Tout en respectant une philosophie frugaliste où l’objectif est de passer le plus rapidement de la matière première à un matériau transformé, en limitant et mesurant nos dépenses énergétiques.
La période de recherche et de développement intensive a été très complexe et ponctuée par des difficultés liées à la compréhension de la matière elle-même, celle-ci variant d’une espèce à une autre, d’une granulométrie à une autre, d’un lot à un autre. Le passage de la R&D à l’échelle industrielle est un vrai challenge et se poursuit à mesure que nous écrivons ces lignes.
Travailler des nouveaux matériaux, organiques qui plus est, demande une adaptabilité de certains process de transformation. La ressource étant aléatoire, sa standardisation peut être complexe, c’est pourquoi nous mettons en place un modèle de production calqué sur le vivant, en adéquation avec la matière première et neutre pour notre planète.
Matériaux
Les différentes espèces d’algues offrent, en plus de leur biodégradabilité, un panel d’esthétiques presque infini. Parfois, bien que complètement issues de végétal, les esthétiques sont très minérales. Ceux qui ont vu ou touché nos matériaux font régulièrement des analogies avec des matériaux existants comme la pierre, le marbre, la bakélite, le cuir ou le plastique. Au total, ce sont 6 nouveaux matériaux qui ont été inventés par le studio Samuel Tomatis :
- Matériaux rigides : panneaux d’algue pouvant substituer la plupart des panneaux d’agglomérés
- Matériaux souples : lès d’algue pouvant s’apparenter à du plastique ou du cuir
- Papier : feuille de papier pouvant être mis en forme pour des applications de type packaging
- Briques de terre crue avec substitution de la chaux par des algues
- Email à base d’algue
- Teinture naturelle à base d’algue
Ces matériaux, tous protégés et propriétés du studio, sont visibles sous différentes formes, esthétiques et applications dans les projets présentés sur notre site.
Nous travaillons aujourd’hui principalement sur l’industrialisation des matériaux souples et rigides et répondons pour le moment uniquement à des projets sur-mesure. Les autres matériaux peuvent être commandés dans des quantités raisonnables en fonction de la demande. L’objectif assumé du studio est de rendre, demain, ces matériaux accessibles au grand public.
Applications
Une fois les matériaux développés, une phase de validation technique est nécessaire, elle est indispensable et permet de se projeter vers des mises en forme pour penser des applications et objets usuels du quotidien.
Lors de ses recherches, Samuel Tomatis a voulu expérimenter tout ce qu’il était possible de faire avec des algues, sans jamais se fixer de limite. Agencement, mobilier, construction, packaging, textile, accessoire, conditionnement industriel, autant de domaines où les algues offrent des solutions alternatives réelles. Autant d’applications où Samuel a cherché à répondre à des enjeux contemporains et aberrations de certains secteurs à l’heure de l’urgence écologique (tannage dans l’industrie du cuir, formaldéhyde présents dans les panneaux de particules, substitution de la chaux dans les briques en terre crue, permacrise du papier).
Les applications dessinées à partir des matériaux sus-cités, cristallisent toutes, au travers de l’objet et de leurs esthétiques industrielles, des contraintes précises liées à ces nouveaux matériaux : texture, résistance mécanique, état de surface, souplesse, déchirement ou biodégradabilité.
Fin de vie
En s’inscrivant dans une démarche cradle-to-cradle ou d’économie circulaire, le projet Alga et la démarche entière du studio Samuel Tomatis mettent en lumière des scénarios prospectifs qui permettent de s’éloigner de la production de masse. Ils incitent l’utilisateur à intégrer l’éphémère dans sa consommation et tendent vers un changement de paradigme où des solutions se dessinent pour réduire l’impact de nos déchets anthropocéniques. Pour la plupart, ces objets et ces matériaux modifient notre lien avec la matérialité et la notion d’héritage prend un tout autre sens : elle se perpétue non plus d’humain à humain mais plutôt d’humain à la nature.
Les matériaux extraits de la mer retournent ainsi à la terre. Au contact de l’humidité des sols, le cycle de biodégradabilité sera initié. Les matériaux y retrouveront l’un des usages ancestrals des algues : servir d’engrais et favoriser la biodiversité de façon totalement naturelle. Les matériaux et objets pourront aussi être réintégrés aux process de fabrication afin d’être retravaillés à l’infini.
Prospective et design fiction
Dialogue constant entre science, design et artisanat, ce projet nous incite à nous poser des questions, à nous faire réfléchir sur les futurs modes de productions et de consommations. Pouvons-nous, ensemble, agir positivement et poser les bases d’une société qui se doit d’être durable ? Pouvons-nous imaginer un monde sans déchet où les objets du quotidien proviendrait d’une biomasse inutilisée ?
Dans un contexte d’urgence climatique, les algues, sont porteuses d’espoir. Considérées à tort comme une pollution dont elles ne sont finalement que le symptôme, les algues nous offrent un champ d'innovation infini et des solutions concrètes pour répondre aux défis de notre époque.
Le studio Samuel Tomatis, par ses recherches, sa démarche et ses convictions, est convaincu que de nouvelles formes d’industrialisation, calquées sur le vivant et les écosystèmes sont possibles. Une industrie raisonnée, pensée pour répondre à des enjeux locaux, où l’échelle de distribution se fera en harmonie avec la disponibilité de la ressource et l’endroit où elle se trouve. Une industrie calquée sur la saisonnalité de la biomasse et rythmée par des périodes de jachère, de pousse, de récolte puis de production. Une industrie entièrement circulaire, où les rebus de production, seront réintégrés au process de transformation. Une industrie frugale, ne concevant que des produits biodégradables.